FNDes impressions, des sensations, des évidences_
Feindre d'abord d'ignorer le pouvoir symbolique des images, des couleurs. Noyé, barbotant dans les flots du flux numérique, faire peu à peu disparaître les bases de leur construction, de leur compréhension. Puis laisser reposer. Les ressorts les plus élémentaires, marketing, com, agitprop, propagande, jouent d'eux-mêmes aujourd'hui. Plus besoin de ministère, d'art officiel, d'artistes de connivence... Après le 13 novembre, on colore d'un clic son profil facebook de bleu blanc rouge, fièrement, spontanément, pour dire sa compassion, son horreur, du mal, de la barbarie, pour afficher et affirmer sa solidarité, faire preuve de "résistance". Partout sur internet, sur les couvertures de magazines, les photos arborent les couleurs de saison et pour accompagner l'hommage aux victimes, on appelle même les français à pavoiser les habitations du pays en guerre.

[Dramatisation ou dramaturgie ? Inconscience ou calcul ?]
Feindre aussi d'ignorer que ces couleurs sont déjà prises, que leur message est bien loin des jours de fête du "Rue Montorgueil" de Monet ou de la libération de Paris par Dufy. Et qu'inévitablement, c'est du Front National que l'on "partage" visuellement les valeurs à travers les couleurs qui en sont la charte et l'empreinte. Pour qui quelques jours à peine avant d'aller voter on se transforme en milliers de colleurs d'affiches. 7 janvier - 7 décembre : moins d'un an après "Je suis Charlie", voilà le tour de passe-passe, voilà comment on perd et on passe de "la liberté de se torcher avec le drapeau" au baillon bleu blanc rouge de l'état d'urgence.

 

baldi[Il y a plusieurs oublis, comme il y a plusieurs mémoires.]
Dans le même temps, ici, montage de l'exposition MES[MOIRES] à La Conciergerie. Pas ou peu de couleurs, mais de la rouille. Brune, belle, épaisse, qui se dépose et se répand à sa guise, corrompt autant qu'elle corrode, efface, prend place, séduit parfois, cristallise. Le souvenir et l'oubli, comme les deux faces d'une même pièce. Ce que l'on montre et ce que l'on tait, ce qui reste et qui résiste, ce qui trompe aussi. Les mêmes images pour un désespoir commun. L'art, encore et toujours, nous éloigne du trivial, semble créer son propre espace, nous couper du réel, alors qu'au contraire il le tient là, à notre disposition, sinon à notre portée.
A chacun de s'y introduire, à chacun de créer ou recréer les liens entre les objets et les couleurs ; bleu blanc rouge des pots de Jean-Pierre Raynaud, du drapeau de "La Liberté guidant le peuple" à celui du "Napoléon au pont d'Arcole". Petits drapeaux qu'on agite à la Monet, rouge coulant chez Fromanger ou grignotés par des fourmis comme dans la superbe installation de Yukinori Yanagi. Des objets, des idées, des objets-idées, inertes ou chargés du souvenir, proche ou lointain, de celui qu'on efface d'un coup de blanc à celui qu'on ravive en noir ou en rouge. A chacun son style, son drapé, ses couleurs, ses artistes disparus, étouffés sous les subventions ou par les marchands. A chacun son avenir et son passé, celui qu'on se crée, qu'on espère ou qu'on aimerait oublier, en disant "à quoi ça sert tout ça... ?".
A chacun son petit drapeau... "Elections piège à cons" disait Sartre en 68. "Un poète ça sent des pieds" chante Léo Ferré un an plus tard.
Des électeurs et des poètes, "- Combien de divisions ?" dirait Staline.

 *Maman les p'tits drapeaux...

 

Stéphane Mahé, Rassemblement du 11 janvier 2015, place de la Nation
Eugène Delacroix, "La liberté guidant le peuple", 1830
La bataille du pont d'Arcole, Horace Vernet, 1826
Yukinori Yanagi, "The world flag ant farm" (1990)
Gérard Fromanger, revue Le Rouge, 1968